Situation actuelle en Corse

Qui si parla di tuttu : infurmazioni, putachjii, pulitichella, è sopra tuttu si po macagnà à vulè !
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Squall
El professor
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Le regard du PNC Ghjuventù: un peu long mais fort intéressant!


Juste quelques questions...

Tout le monde connaît le célèbre adage "Impossible n'est pas français". Pourtant, il serait difficile d'en saisir les manifestations et les expressions de manière aussi claire qu'à travers les attitudes de certains responsables ou certaines institutions hexagonales ces dernières semaines. En effet, nous savons désormais et sans ambigüité qu'il n'est pas impossible en France d'être à la fois ridicule, menteur et incompétent. Et avec fierté qui plus est. La vérité c'est que ces derniers mois ont été une succession d'insultes et d'affronts portés à la Corse et aux Corses. L'île est déjà habituée évidemment à ces successions de clichés aussi ridicules et insultants les uns que les autres.
Souvenez-vous les propos de Bernard Henri-Levy, et de tant d'autres personnalités, de Ponte-Novu jusqu'au magazine le Point, qui n'ont jamais hésité, dans l'indifférence totale, à stigmatiser une population entière. Il est donc de tradition en France de se moquer, d'accuser de certains maux, un peuple entier, en toute tranquillité et sans provoquer l'intervention des commerçants du racisme que sont devenues certaines associations censées le combattre.

S'il fallait revenir sur tous les affronts dont ont été victimes les Corses depuis plus de deux siècles, six ans de recherches et une encyclopédie en quatorze tomes ne suffiraient certainement pas. Il convient alors, non pas pour se faire du mal, mais bien pour comprendre, de se souvenir de ces temps récents uniquement. De plus, les paroles qui se doivent d'être retenues, car choquantes, sont davantage celles de personnes politiquement et institutionnellement responsables, et c'est sur cette base que le propos se poursuivra donc.

La venue de Manuel Valls en la matière est par exemple un cas d'école. Ce ministre de l'intérieur, dont l'origine catalane aurait pu être perçue comme une possible compréhension du sentiment insulaire et identitaire, réussit le pari quasi-inespéré de se mettre à dos toute la Corse.
Il faut tout de même souligner la prouesse, car être capable de fédérer les Corses, en ces temps de violences et de troubles, est une opération que même les plus grands magiciens et enchanteurs ont refusée, ne se sentant certainement pas de taille.

Ce monsieur à la tête d'un ministère qui brille par son incompétence depuis des décennies a en effet répété les erreurs historiques de ses anciens confrères, de droite comme de gauche, ce qui souligne, s'il le fallait, l'universalité de leur ignorance et de leur incapacité à être efficaces ou utiles.
En effet, semblable à ses pères spirituels, ce Charles Pasqua au costume en lin, nous rejoue l'énième partition de l'Etat de droit, de la Corse insérée dans la République, et de l'unité et de l'indivisibilité élevées au rang de dogme.
A l'heure où la Corse sombre dans la violence la plus terrible, les seuls signes annonçant sa venue sur l'île sont les récentes interpellations de nationalistes. Au moment où la Corse connaît trente meurtres par an, il parait évident que le danger venait de deux jeunes de quatorze ans qui collaient quelques affiches dans la région bastiaise.
- Quand la Corse aura-t-elle droit au même acharnement pour ceux qui tuent, par les armes ou les trafics ?
- Quand est ce que la justice française méritera enfin son nom ?
- Comment les journalistes, en quelques semaines de présence peuvent-ils dégager des pistes, alors que les services de police et d'enquête en sont incapables ?
A l'évidence, il n'y a pas quarante mille pistes. Des dizaines d'assassinats, aucune résolution! Soit l'Etat est incompétent, et dans ce cas qu'il le dise, soit il sait, et dans ce cas il est complice. Je lui laisse le soin de définir lui même s’il se sent davantage proche de l'imbécile qui ne sert à rien, ou du voyou qui sait mais ne fait rien.

Au-delà de la violence, le ministre de l'intérieur a fermé la porte à toute officialité de la langue corse avec la langue Française. Cette position, qui est tout sauf une surprise, pose toutefois deux problèmes majeurs.
D'abord il révèle une interrogation démocratique. En 2010, les Corses se sont rendus aux urnes, et ont élu, démocratiquement, et en accord avec les lois de la République Française, cinquante-et-un conseillers territoriaux. Ces derniers sont donc les représentants légitimes du peuple corse, et recoupent la diversité des opinions qui sont présentes au sein de la société corse (Droite, Gauche, Nationalisme, pour citer les trois grands courants politiques de ces quarante dernières années).
Ces élus du peuple ont voté au mois de mai 2013, un statut de co-officialité de la langue corse et de la langue française, à une large majorité, et sans qu'aucune voix "contre" ce projet ne soit exprimée.
Ceci est d’autant plus remarquable que nous avons été habitués, depuis des années, de la part de certains de nos élus locaux, si ce n’est à de la complicité ou à de la connivence, à une certaine passivité vis-à-vis de l’Etat, des lois et autres décisions prises qui ne tiennent pas compte des spécificités insulaires et vont donc à l’encontre des intérêts de la Corse et des Corses.
Dès lors, face à un consensus si large de l'ensemble des responsables politiques de l'île :
- Comment prendre cette décision du ministre de l'intérieur autrement que comme une insulte portée à l'endroit de ceux qui ont été élus par les Corses ?
- Quelle est alors l'utilité de l'Assemblée de Corse, dont le fonctionnement est financé par les impôts des Corses, si les élus qui en sont membres ne sont pas légitimes pour déterminer ce qui est juste pour la Corse ?

Ce refus pose aussi un problème de volonté, notamment sur l'importance accordée à une langue comme le Corse.
Contrairement à ce qui était une promesse de campagne, la charte européenne des langues régionales minoritaires ne sera pas ratifiée. Ce nouveau volte-face constitue une preuve de plus, du profond désintérêt que porte la France a ses langues régionales.
Pourtant, tous les linguistes et spécialistes vous diront que l'apprentissage de plusieurs langues, à l'école et dès le plus jeune âge, est possible et même bénéfique pour les capacités mémorielles et intellectuelles des enfants. De plus, une langue est une source de richesse inestimable, témoin d'un temps, d'une époque et d'un territoire. Sa seule connaissance est, en soi, un regard sociologique sur ceux qui la pratiquent.
Face à ces constats de bon sens, on nous oppose l'unité de la République. Cette unité que personne ne comprend tant elle est devenue une réponse automatique et autiste. Cette unité comme paravent à l'évolution, mais dont personne n'arrive à en définir les fondamentaux ou les problématiques que susciteraient une généralisation de l'usage d'une autre langue.
- Quelle menace le bilinguisme et la co-officialité constituent-ils pour l'unité de la République Française ?
- Quelles sont, concrètement, ces atteintes intolérables ?

Toutefois, l'honnêteté intellectuelle commande de dire que le problème de la langue n'est pas qu'un problème politique. En effet, dans l'absolu, rien n'empêche les Corses qui parlent corse de transmettre cette langue à leurs enfants et à leurs petits-enfants, et à ces dernier de le parler. Mais tenir ce raisonnement serait toutefois une manière de nier l'impact des volontés publiques anciennes de voir les langues régionales disparaitre.
- Si la langue n'est plus transmise aux jeunes générations, n'est-ce pas à cause de ces générations de corses qui ont vu, dans leur enfance, devant leurs écoles, la pancarte "INTERDIT DE PARLER CORSE ET DE CRACHER PAR TERRE" ?
- Les anciennes générations n'ont-elles pas une excuse valable, elles qui ont connu les coups de règles sur les doigts quand on les prenaient en flagrant délit d'utilisation de la langue corse ?
- L'école de la République n'a-t-elle pas désormais comme obligation, par un enseignement à parité entre le Corse et le Français, de rétablir l'injustice qu'elle a, elle-même, créée ?
- En quoi la co-officialité de ces deux langues est-elle une mesure plus discriminatoire que l'obligation de parler anglais pour accéder à certains emplois ?

Mais, si les récentes atteintes aux volontés des Corses n'étaient que le fait d'un seul petit chef national, que le temps aura rapidement relégué au rang de curiosité historique, nous pourrions mettre cela sur le compte d'une animosité particulière, et ne pas lui accorder plus d'importance que cela.
Mais nous savons bien qu'il n'en est rien.

Au-delà du ministre de l'intérieur, citons une autre institution qui a eu l'occasion, ces derniers temps, de déclarer son amour à la Corse : le conseil constitutionnel.
Depuis des décennies, la Corse connaissait un régime particulier en droit de succession. Ce régime était justifié à la fois par une situation empirique, à savoir l'impossibilité de posséder une base de données regroupant les différents titres de propriété des Corses, et par une situation idéologique, à savoir la compensation, par ce régime, d'inégalités qui avaient été faites à la Corse.
Contrairement à ce que l’on a pu entendre pendant des décennies, les Corses ont payé des droits de succession. Seulement, le régime était différent du reste de la France car une institution, le GIRTEC, était chargée de reconstituer les titres de propriété.
Ce régime dérogatoire, issu de l'arrêté Miot, n'est d'ailleurs en aucun cas un héritage napoléonien, comme certains ont tenté de le faire croire, mais fut entériné par plusieurs délibérations politiques, nationales, durant les années 2000 notamment.
Toutefois, après la saisine du Conseil Constitutionnel sur la loi de finances de 2013 (saisine à laquelle trois députés Corses, se révélant, à cette occasion, être la voix de Paris en Corse plutôt que la voix des Corses à Paris, ont d'ailleurs pris part), cette disposition applicable à la Corse fut supprimée.
Dans une île où la spéculation immobilière entraine une hausse des prix inconsidérée, demander aux corses de s'acquitter de tels droits de succession, du jour au lendemain, calculés sur la valeur vénale des biens, revient à leur imposer de les vendre, étant en incapacité de payer ces droits.
Pourtant, le conseil constitutionnel a considéré que cette disposition constituait une "rupture du principe d'égalité entre les citoyens français", ce qui entraina une réponse sans appel du peuple corse : une semaine de mobilisation de la part de la jeunesse à Corte, et huit mille Corses dans la rue, à Bastia, à l'appel de plus de quarante organisations représentatives du tissu socio-économique insulaire.
- Comment expliquer que, deux mois après, ce même principe d'égalité ne se soit pas appliqué lorsque le Conseil Constitutionnel a déclaré que le fait que les prêtres et les rabbins, dans les régions d'Alsace et de Lorraine, soient rémunérés par l'Etat est légitime, compte tenu des particularités de ces régions ?
- La particularité de la Corse, qui est une île, n'est-elle pas suffisante pour bénéficier elle aussi de certains aménagements ?
- Le principe d'égalité connaît-il une application à géométrie variable ?
- Le principe d'égalité est-il l'application aveugle d'une même règle pour tous, ou au contraire, la volonté de mettre tous les citoyens dans des conditions similaires, en adoptant donc des règles différentes selon leurs situations ?
- Huit mille personnes, représentatives de l'ensemble de la société corse, qui se fédèrent et manifestent, sans débordement, est-ce insuffisant pour vous ?

Il serait aussi intéressant de citer le scandale qui se passe sur l'île depuis des années sur ce qui touche le littoral.
En effet, alors que des lois protègent les zones littorales de l'urbanisation et de la construction, des dizaines de projets voient le jour, sur nos côtes, avec l'accord des maires qui signent les permis, et des préfets qui ne déférent pas ces dossiers au Tribunal Administratif.
- Allons-nous accepter encore longtemps que nos plus belles côtes deviennent, à terme, des parcs d'attraction ?
- Les lois de la République s'appliquent-elles en Corse ?
- Si oui, pourquoi celles sur le littoral sont-elles violées en permanence ?


Il est enfin possible d'évoquer un problème qui peut sembler moins politique, mais dont la nature et les conséquences sont de même ordre que ces derniers événements, celui autour du combat du collectif du 5 mai qui a pour objectif qu'aucun match en France ne soit joué à cette date. En effet, en 1992, à cette même date, une tribune montée à la hâte s'était effondrée dans le cadre de la demi-finale de la coupe de France, à Furiani, entre le Sporting Club de Bastia et l'Olympique de Marseille, entrainant de nombreux décès, et d'innombrables séquelles physiques et morales.
Alors que dès les jours qui ont suivi ce drame, le président de la République, François Mitterrand, ainsi que les représentants des instances du football de l'époque, s'étaient engagés à ce qu'aucune rencontre n'ait lieu, à l'avenir, un 5 mai ; alors que le président actuel, François Hollande, à l'époque candidat, et son ministre des sports, avaient déclaré publiquement que la demande du collectif du 5 mai était légitime et naturelle ; des rencontres se jouent, et se joueront encore, un 5 mai, en France.
En lot de consolation, les instances du football français ont accepté qu'aucune rencontre n'ait lieu en Corse, ou ne concerne une équipe corse, faisant de ce drame un problème uniquement insulaire, alors qu'il est en fait national.
- Les promesses d'un président de la République en fonction, et de représentants nationaux, n'engagent-elles réellement que ceux qui les croient ?
- Si le même drame avait eu lieu à Paris, aurait-on continué à jouer dans toute la France sauf en région parisienne ?
- Les intérêts, notamment financiers, d'institutions, en partie responsables de cette catastrophe, sont-ils supérieurs au respect que l'on se doit d'avoir face à des victimes et à leurs familles ?

Ce contexte démontre bien la difficile situation que connaît notre île actuellement. Situation à laquelle aucune réponse satisfaisante n'est apportée.
Pourtant, derrière ces quelques mots, il y a une jeunesse qui attend, qui espère, mais à laquelle on ne s'adresse jamais. Si la situation devait perdurer, et si les responsables ne prennent pas enfin leurs responsabilités, la fracture qui peut exister entre l'île et le système institutionnel français risque d'être trop lourde, trop grave, et profonde.
Aucune situation ne peut justifier que l'espoir de voir la Corse s'engager durablement sur le chemin de la paix ne disparaisse. Cependant, ces attitudes créent de la frustration, de l'impatience, de la colère.
Et une jeunesse en colère ressent tôt ou tard la nécessité de l'exprimer. La situation est pourtant simple, à définir, et à régler.



Une solution politique, sociétale. Une solution qui prenne enfin en compte la spécificité structurelle de l'île. Une solution qui englobe les aspirations des habitants de cette île depuis des années, manifestées à de maintes reprises et à de multiples occasions.
Si celle-ci n'arrive jamais, et que le constat évoqué ci-dessus perdure, il ne restera plus beaucoup de questions à se poser, mais une seule :
Les Corses accepteront-ils encore longtemps que l'on se moque d'eux ?

Et le jour où cette seule question se posera, et que la réponse apparaîtra comme évidente, il sera peut être trop tard...

De l'espoir, cette jeunesse en a à revendre. Encore faut-il qu'on lui donne les moyens de l'exprimer...
Il ne faut pas bruler la peau de l'ours avant de l'avoir vendue (Ouaddou)
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